Comme beaucoup de YouTubers, de journalistes et d’influenceurs, NoFrag a reçu de quoi essayer Escape From Tarkov. Une clé presse, qui permet de tester la version alpha avec une tonne d’armes et d’équipement pour faire le beau sur les serveurs. Et les développeurs ont l’air de bien nous aimer – ils ont lu chacun de nos articles, sont allés jusqu’à traduire certains passages et nous ont même proposé une interview. Du coup, on s’est permis d’insister pour dégoter plusieurs comptes presse et y jouer à plusieurs. Allez, on enfile ses bottes et sa chapka : il est temps de voir ce qu’il a dans le ventre.

 

Le quatre-quarts russe du jeu vidéo

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de revenir sur le passé quelque peu flou (et encore, le mot est faible) du studio Battlestate, qui développe le jeu. Il y a quelques années, une bande de russes a élu domicile au coeur de la toundra pour créer des jeux vidéo et tirer avec des AK-47 dans les bois. Leur studio, alors baptisé Absolutsoft et composé de quatre personnes qui travaillent depuis un canapé miteux derrière un restaurant, sort en 2010 Contract Wars, un clone de Call of Duty free-to-play et jouable par navigateur (sur Facebook et Kongregate, entre autres). Loin de se faire une place au Panthéon des classiques du genre, Contract Wars était un petit FPS sans grande prétention qui convenait parfaitement à Dylan, 13 ans, qui y jouait avec ses copains en rentrant du collège. Rien à installer, rien à payer, il pouvait y passer des heures sur le PC familial et piquer la carte bleue de Maman de temps en temps quand il voulait acheter de jolies armes pour sa prochaine fragmovie.

Le modèle fonctionnait plutôt bien et Contract Wars a rencontré un certain succès. Dans le même temps, une équipe de moddeurs russes (la légende raconte qu’il s’agit de membres de Absolutsoft) annonce un nouveau FPS répondant au nom de code 2028 Russia. On est en 2010, et les premières images montrent des forêts, des environnements urbains, quelques scènes en intérieur et des animations tournant sur le CryEngine 2. On nous parle alors d’un FPS solo visuellement prometteur, où il est question d’une Russie post-apocalyptique.

Deux ans plus tard, ils sortent un premier trailer pour montrer une version vieille d’un an, balancent de nouvelles images et changent au passage le nom du jeu pour Russia.2028. Personne ne sait vraiment quoi en attendre, mais l’équipe de développement évoquait même l’idée d’un financement et d’un portage sur le CryEngine 3. Il faut encore attendre deux longues années avant d’avoir de leurs nouvelles – cette fois-ci à travers trois nouvelles images et une FAQ rédigée en russe sur un fan-site de S.T.A.L.K.E.R.

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Difficile de trouver de quoi illustrer l’historique d’un tel studio, alors j’ai préféré vous montrer à quoi ressemblent les réunions du jeudi matin chez Battlestate.

Et depuis, plus rien. Le projet a disparu aussi rapidement qu’il est apparu, et sans faire parler de lui. Puis, en 2015, un nouveau studio voit le jour. Battlestate Games, qui débarque en grandes pompes pour annoncer Escape From Tarkov, un FPS massivement multijoueur qui fait la part belle à la survie, au réalisme et à la vodka. Dès la sortie du trailer pre-alpha, c’est la claque : c’est visuellement impeccable, très immersif et la personnalisation des armes laisse entrevoir pas mal de possibilités. Escape From Tarkov et ses mille et une promesses font la une de beaucoup de sites d’actualité tandis que ses développeurs surfent sur la hype pour multiplier les annonces.

En creusant un peu, cependant, on s’aperçoit que Battlestate a été fondé par des anciens de Absolutsoft – qui sortait Contract Wars quelques années plus tôt. Après de longues minutes passées à éplucher quelques profils Linked.in en russe, on comprend alors que Absolutsoft s’est scindé en deux : une partie du studio n’a pas bougé, et travaille actuellement sur Hired Ops (la suite toute naze de Contract Wars) alors que l’autre est partie dans son coin développer Escape From Tarkov à grands coups de promesses et de screenshots Photoshoppés.

Je vous sens un peu perdus, alors je vous ai bricolé un petit graphique à l’arrache :

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L’histoire de tous ces studios est un bordel sans nom difficile à retracer avec précision, tant les développeurs ont oscillé de l’un à l’autre. Aujourd’hui, en regardant l’état des deux studios et de Escape From Tarkov, on constate plusieurs choses. Déjà, d’étranges similitudes (pour ne pas parler de copier/coller) entre le site de Battlestate et celui d’Absolutsoft. Ensuite, si on met certaines images de Tarkov à côté de vieux screenshots de Russia 2028, on ne peut s’empêcher de penser que les deux partagent quelque chose. Des ressources, principalement, mais aussi des inspirations dans le design des environnements et le feeling général. Les armes sont les mêmes, les environnements sont les mêmes, et déambuler dans les allées de Tarkov laisse comme un arrière-goût de déjà-vu.

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Cliquez sur l’image pour observer de plus près

Pourtant, Battlestate a jusqu’à présent pris soin de ne jamais mentionner directement Russia 2028, sauf pour dire que Escape From Tarkov se déroule dans « l’univers fictif de Russia 2028 ». Univers fictif dans lequel deux factions évoluent : BEAR et USAC. Étrangement, on retrouve ces mêmes factions dans Hired Ops, le FPS de Absolutsoft sorti en 2016. J’ai même poussé le vice plus loin en achetant Hired Ops sur Steam (que je me suis ensuite fait rembourser, rassurez-vous) et me suis aperçu que les poses des personnages, les animations et les menus répondaient à la même charte graphique. Si j’avais le temps, j’aurais également pu faire une comparaison du map-design de Contract Wars et de certains environnements extérieurs de Tarkov, qui se ressemblent là aussi étrangement. C’est tout de même troublant. On retrouve des assets des quatre jeux dans chacun d’eux, à croire que chacun utilise les mêmes modèles 3D laissés à l’abandon.

Il est donc difficile de parler de Escape From Tarkov sans avoir en tête le fantôme de Russia 2028 qui lui tourne autour depuis des années, et sans considérer le passif douteux du studio Absolutsoft. Maintenant que vous avez tout ça en tête, on peut lancer Escape From Tarkov pour voir ce que ça vaut.

From Russia With Lag, aperçu de l’alpha de Tarkov

 

Un bon moyen de transformer son PC en chauffage d’appoint
Message d’intérêt général. Si vous avez l’opportunité d’essayer la version alpha de Escape From Tarkov, prévoyez un système de refroidissement à base d’azote liquide pour votre PC. Battlestate a poussé le moteur Unity dans ses retranchements et même si c’est visuellement chatoyant, il m’est arrivé à de nombreuses reprises d’entendre mon unité centrale hurler de douleur et de voir mon ordinateur sévèrement ralenti, faute à une optimisation réalisée au marteau et à la faucille (voir carrément inexistante). Lorsque j’arrivais à tirer 20 à 30 FPS de mon combo i7/GTX 970 très bien refroidi, j’étais heureux. Les seules fois où j’ai essayé de modifier les paramètres graphiques, le jeu a planté. Vu le temps qu’on passe à bugger dans les menus, heureusement que la musique n’y est pas trop mauvaise.

Escape From Tarkov, c’est l’histoire d’un FPS arcade (en l’occurrence Contract Wars) qui veut devenir un jeu de survie hardcore. Après avoir travaillé des années sur Unity 3D, les membres de Battlestate se sont appuyés sur leur expérience avec le moteur pour créer Tarkov. Forcément, on retrouve des animations, assets et décors qui sentent le réchauffé, mais tout a été remis au goût du jour. Bloom et Motion Blur à fond les balloins, un effet grain inutile, des particules plein les yeux et une tonne d’effets post-process plus tard, on se retrouve avec un FPS qui a très bonne mine.

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Les maps de nuit sont un véritable enfer à parcourir sans éclairage.

L’idée derrière Tarkov n’a par contre presque plus rien à voir avec Contract Wars, puisqu’il est ici question de survie en multijoueur dans des environnements semi-ouverts. On peut tout d’abord choisir entre les deux factions du jeu, se créer un personnage et se lancer directement dans ce que Battlestate appelle un « raid » : une partie en temps limité dans une map remplie d’autres joueurs. Il faut alors se retrousser les manches et partir à la recherche des zones de loot pour espérer récupérer du butin (armes, équipement, objets à revendre plus tard) et accéder à un point d’extraction avant la fin du temps imparti – en un seul morceau, de préférence. Si vous avez le malheur de vous prendre une balle mal placée, c’est la mort et tout ce que vous aviez sur vous sera récupéré par les autres joueurs sur votre cadavre.

*N.B. : les parties en temps limité, c’est intéressant quand ça fonctionne mais il faut savoir que la version actuelle du jeu ne permet pas d’en profiter. Le temps s’écoule infiniment et il est tout à fait possible de passer plusieurs heures sur la même partie.

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A chaque type d’arme son chargeur, qu’il est possible de vider pour en extraire les balles individuellement.

On a donc rapidement saisi la boucle de gameplay du jeu, qui consiste à faire évoluer son personnage au fil des parties en récupérant toujours plus d’équipement. Constamment menacé par les autres joueurs, on a l’impression d’être épié de toutes parts et de pouvoir croiser un ennemi à n’importe quel moment. Du coup, on se met à prendre des risques et à partir à l’assaut des zones les plus dangereuses de la map seulement équipé d’une arme de poing et d’une hachette. Avec un peu de chance et beaucoup de précaution, il est tout à fait possible de transformer un kit de survie rudimentaire en un arsenal confectionné à partir de l’équipement des ennemis tombés. Une courte salve de balles pouvant s’avérer létale, Escape From Tarkov récompense la prise de risque et il s’y installe une tension palpable au bout de quelques minutes de jeu.

 

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En combat rapproché, on comprend vite l’importance des zones d’ombre pour avancer lentement.

Cette ambiance est d’ailleurs servie par un système de jeu assez lourd, qui mise beaucoup sur le son. On peut modifier sa vitesse de course (et donc le bruit que l’on génère) avec sa molette de souris, on est particulièrement bruyant en se déplaçant au sol et encore plus dans la végétation. Il faut donc progresser lentement, se pencher avant de prendre un virage et faire des pauses fréquentes pour écouter les bruits alentours. Bruits de pas et insultes en russe ? Ouf, ce n’est qu’un bot à l’IA mal codée dont on se débarrassera sans mal. Bruits de pas discontinus sans voix ? C’est certainement un joueur, qui s’est peut-être aussi rendu compte de votre présence : la partie de cache-cache commence. Par-dessus cette atmosphère très soignée, Battlestate a aussi implémenté une rotation jour/nuit qui ajoute une couche de “bordel, j’y vois rien” forçant à s’exposer en utilisant sa lampe torche ou de rares lunettes de vision nocturne.

 

Si on a la chance de récupérer du loot (qu’il est possible de revendre ou échanger par la suite à des marchands entre les parties), on en arrive à la deuxième chose que Escape From Tarkov fait plutôt bien : la gestion de l’inventaire et la personnalisation de son équipement. On peut entreposer l’équipement trouvé dans une réserve qui agit comme une sorte d’inventaire à la S.T.A.L.K.E.R. dans lequel il faut piocher pour s’équiper avant chaque partie. Torse, tête, arme sur le dos, arme en main, arme de poing, sacs, gilets de combat… le système d’équipement est assez flexible et permet de faire à peu près ce que l’on veut de son personnage.

007cc6 previewLes armes quant à elles sont modifiables individuellement via un menu dédié, qui fait apparaître chacune des pièces pouvant être changées. De la crosse au canon en passant par la chambre, le viseur ou le chargeur – tout peut y passer. Tarkov ne propose pour le moment qu’une bonne dizaine d’armes, mais le degré de personnalisation est tel qu’on voit assez rarement deux armes identiques. Le moindre bidouillage aura un impact sur le comportement de votre arme une fois en jeu. Si ça vous tente, vous pouvez tout à fait gambader sur les serveurs équipé de votre 9X18PM avec chargeur camembert et silencieux. Et ça, c’est quand même fort. Mais au-delà des choix qui relèvent du bon sens (un silencieux pour faire moins de bruit, une lunette pour voir plus loin…), Escape From Tarkov est aussi un FPS où de réelles connaissances en armes à feu peuvent vous servir. Unity ne permet peut-être pas une gestion de la balistique aussi poussée que dans un ArmA, mais on sent que Battlestate a un faible pour les armes à feu. Ça ne m’étonnerait même pas qu’un des membres du studio ait un SV-98 suspendu au-dessus de la cheminée.

Il y a aussi beaucoup de choses que je n’ai pas pu voir en essayant cette version alpha du jeu. Tout le système de compétences, que l’on peut améliorer avec l’XP amassée au fil des parties, la gestion de la soif, de l’énergie et de la santé qui devrait être davantage présente dans la version finale, la cartographie qui semble avoir une place importante dans le déroulement d’une partie, le troc… Battlestate n’a pas été avare en promesses et seul l’avenir nous dira s’ils sont capables de les tenir. En l’état, Escape From Tarkov est une démonstration technique prometteuse mais rapidement creuse. Une fois qu’on s’est amusé à tirer sur deux-trois malheureux sur l’une des trois maps jouables actuellement, il n’y a rien à faire.

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En principe, il est possible de changer le mode de visée pour regarder à travers la lunette que l’on voit ici clipper à travers le visage du personnage.

De plus, le côté très punitif du jeu a eu raison de ma patience après plusieurs sessions de jeu passées accroupi derrière une fougère à attendre que mon pote – dont le point de spawn est situé aléatoirement – me trouve. Et si j’ai réussi à rester en vie tout ce temps, c’était bien souvent pour me prendre une balle perdue quelques minutes plus tard ou fouiller des tiroirs vides et repartir avec trois écrous et deux pendentifs. On investit beaucoup de temps de jeu pour pas grand chose, et on ne prend que rarement plaisir à l’investir compte tenu de l’absence potentielle de loot et de la fragilité de notre personnage. Imaginez la frustration d’un DayZ, d’un Rust ou d’un ARK, mais pensée par une équipe de russes.

 

 

Une alpha infiniment vide, mais de bonnes idées

Escape From Tarkov revient de loin. Né des cendres d’un projet lui-même né des cendres d’un studio, il ressemble à première vue à un rip-off de Contract Wars et Russia 2028 remaniés en un survival multijoueur. Cependant, il parvient à s’en éloigner suffisamment pour proposer des bases qui peuvent évoluer pour donner naissance à un FPS multijoueur exigeant, mais trop frustrant à l’heure actuelle. Et qu’on se le dise : il ne tiendra sûrement pas toutes les promesses balancées naïvement par ses développeurs, mais a capté l’attention du public qu’il cible et pourrait s’avérer être un jeu de tir passable pour qui aime le PvP. Par contre, si cela se produit, venant d’une partie de l’équipe de bras cassés à qui l’on doit Contract Wars, il ne faut pas espérer une sortie finale avant 2028.

 

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