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Amateurs de difficulté et d’infiltration, vous n’êtes pas sans savoir qu’un petit nouveau s’est récemment invité dans le cercle particulièrement restreint de ce qu’on appelle les Stealth Tactical Games (STG). Pour les non-initiés, prenons un instant pour définir rapidement ce sous-genre du STR. On peut dater sa naissance au début des années 2000 avec la sortie de Commandos (puis Desperados), un jeu de stratégie innovant où on ne contrôlait qu’une petite équipe au lieu des habituelles grandes armées ou autres ouvriers construisant des bases jusqu’à que mort s’en suive. Les STG placent toujours le joueur en situation d’infériorité numérique, le poussant à rester le plus discret possible tandis qu’il se faufile entre les lignes ennemies. Pour ce faire, il faut se servir adroitement de nos personnages, disposant tous de caractéristiques uniques, et déceler les combinaisons efficaces pour profiter pleinement de toute l’étendue de la complémentarité des héros.

Shadow Tactics: Blades of Shogun, le petit nouveau dont je vous parlais au début, s’inspire ouvertement des Commandos, mais fait fi de la Seconde Guerre mondiale et autre Western, contextes surreprésentés dans les STG, préférant un cadre plus original, celui du Japon du XVIIè, soit ce qu’on appelle aujourd’hui le Japon de l’ère d’Edo.

[–SUITE–]

Stupeur et tremblement

La première mission de Shadow Tactics se déroule durant l’été 1615, lors de l’assaut final du shogun Tokogawa contre le château d’Osaka, tenu par la dynastie Toyotomi. Ces derniers avaient remis en question le shogunat établi dix ans plus tôt et ont formé une armée pour renverser le pouvoir. Le jeu imagine que malgré la dissolution du clan Toyotomi qui eut lieu suite à la prise du château, des rebelles continuent de s’organiser et souhaitent repartir en guerre. Le shogun cherche à démanteler cette nouvelle organisation et confie cette mission à un fidèle samouraï, qui se trouve être l’un des 5 personnages jouables du jeu : Mugen.

Le scénario arrive à intégrer subtilement tour à tour chaque personnage. Les rencontres sont originales et les motivations de chacun se dévoilent lentement au fur et à mesure des missions. On se prend vite d’affection pour les membres de l’équipe et on est curieux d’en apprendre plus sur eux, ce qui se fait par le biais de dialogues entre les personnages selon les actions que l’on exécute. Impossible d’ailleurs de parler des dialogues sans mentionner les excellents doublages japonais que propose le jeu. On apprécie l’effort de Mimimi, les développeurs, d’avoir considéré avec sérieux les voix, qui participent grandement à l’immersion offerte par Shadow Tactics: Blades of Shogun.

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Les traces de pas attirent l’attention des guardes.

Une immersion garantie également par des niveaux magnifiques, servie par une palette de couleurs qui varie à chaque mission, ainsi que par des effets de lumières discrets, mais réussis. Les contours sont marqués, évoquant un style à l’encre de chine typiquement japonais, qui servent en plus à la lisibilité en délimitant clairement les objets et les nombreux personnages qui vadrouillent sur les cartes. Une esthétique irréprochable, détaillée, qui parvient à ne jamais être confuse pour autant, difficile de trouver à redire sur les graphismes du jeu. On différencie d’un coup d’œil les ennemis de nos héros, dont les halos de couleurs dessinent les silhouettes en permanence.

Le choix de situer le jeu au Japon de l’ère d’Edo s’avère être plus qu’un simple background anodin et original, il améne des mécaniques de gameplay inédites offrant un grand air frais et moderne à un genre qui commençait à tourner en rond. Shadow Tactics ne réinvente pas les codes, il s’en sert adroitement pour ouvrir le STG à un public plus large. Attention, ça ne fait pas de lui un jeu facile pour autant : vous allez en baver, croyez-moi.

Nippon ni mauvais
L’histoire se révèle être une excellente surprise, qui sans être des plus originales, sait exploiter avec brio le Japon et se sert des sièges du château d’Osaka comme toile de fond à une fiction bien construite et qui n’en fait pas des tonnes. Quelques cinématiques stylisées viennent ponctuer certaines missions.

Sauvegarde sagement avant de t’élancer

En effet, les jeux du genre sont réputés pour être très difficiles. C’est de la pure micro gestion, très précise : la moindre erreur, le moindre petit pas en trop, et vous perdez. Justement, c’est là où Shadow Tactics parvient à se détacher du lot. Il ne vous insulte pas, ne vous juge pas à la moindre erreur, au contraire, il vous encourage à comprendre par vous-même comment résoudre une situation qui apparaît trop complexe au premier abord. Toute la subtilité de l’apprentissage du jeu passe par son level design en lui même. Pour pouvoir obtenir un message d’aide qui donne quelques précieuses informations, le joueur va devoir l’obtenir. Pas de fenêtre qui apparaît par magie, « alors lui, tu vois, il faut faire ça et ça pour le tuer ». Il faut se servir de ce qu’on a appris pour pouvoir atteindre le conseil. Les messages de tutoriel sont donc déjà un défi en soi et leur acquisition fait partie de l’apprentissage.

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Certains niveaux sont magnifiques.

Mais ce n’est pas ça qui rend Shadow Tactics plus accessible pour autant me direz-vous. En effet. L’ouverture se situe principalement dans le système de sauvegarde rapide imaginé par Mimimi. Le jeu peut stocker trois sauvegardes rapides et affiche un message si vous n’en faites pas pendant une minute. Plus le joueur passe du temps sans avoir sauvegardé, plus le message d’avertissement attire le regard. Au départ, ça m’a dérangé et j’ai même pensé à désactiver cette option. Heureusement, je n’ai pas commis cette erreur ! Car à travers ce système se dévoile le message des développeurs : libre à toi d’expérimenter, d’explorer le maximum de possibilité. La sauvegarde donne confiance et permet d’élaborer des stratégies risquées que l’on se serait peut-être interdites en son absence. On est ainsi encouragé à tester de multiples solutions avant de trouver celle qui nous convient ; mieux encore, on peut s’essayer à un plan d’envergure, sauvegarder entre les étapes, et si ça ne fonctionne pas, on revient à la plus lointaine sauvegarde pour imaginer une autre solution. La sauvegarde fait partie intégrante de Shadow Tactics, non pas qu’il soit le seul à permettre les quick saves, mais parce qu’il en fait un élément de gameplay.

De plus, ces sauvegardes rapides mettent en exergue un level design millimétré, pointant du doigt un défaut d’analyse chez le joueur, comme pour lui dire qu’il n’a pas pensé à tout. Pas grave, revient en arrière et relève le challenge que l’on te propose. Justement, on peut relever ces challenges de centaines de façons différentes. Chaque personnage dispose de trois compétences qui lui sont propres, ainsi que des caractéristiques que l’on pourrait distinguer en deux catégories : les personnages légers et les personnages lourds. Les légers peuvent se servir d’un grappin pour atteindre des hauteurs à certains endroits précis, monter aux échelles ou encore nager, tandis que les lourds sont incapables de faire tout ça. Les personnages habiles peuvent se déplacer bien plus facilement à travers les cartes et devront impérativement aider les autres à atteindre un objectif.

“Si tu es pressé, fais un détour”

Pour ce faire, il faudra prêter attention à absolument tout et anticiper chaque déplacement. Les approximations sont immédiatement punies et on peut pas se contenter de partir sur une vague idée pour ensuite improviser. Il est nécessaire de savoir exactement comment on va agir et à quel moment précis. Ça me permet de revenir une dernière fois sur les sauvegardes rapides : certes, l’erreur vous est permise puisque vous pouvez essayer autant que vous voulez de franchir un obstacle avec pour seule contrainte un retour de dix secondes en arrière, mais c’est justement parce qu’en réalité le jeu ne vous permet pas l’erreur durant l’action. Non seulement la sauvegarde permet d’éviter de frustrer le joueur, mais elle permet aussi de s’apercevoir de la finesse du level design. Et là, il faut absolument préciser une chose : Shadow Tactics est dur, mais juste. Tout est à la disposition du joueur pour comprendre ce qui a mis à mal ce qu’il considérait comme un plan brillant.

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C’est moins confus que ça en à l’air.

On dépasse le simple stade de comprendre le parcours d’une patrouille, on ne se demande pas comment la contourner elle en particulier, on s’interroge à propos de ce que l’on considère comme un problème. Est-ce vraiment cette patrouille qui m’empêche d’avancer ? Non, c’est la multitude de détails qui l’entoure qui la rend gênante. Alors on entrevoit tous les chemins et toutes les possibilités jusqu’à trouver quelle est la pièce qui maintient l’équilibre si solide de cette patrouille. La encore, le système de sauvegarde rapide permet de se rendre compte que l’on fait fausse route et on s’aperçoit que toutes ces petites parties de la map constituent un tout. Là est la difficulté du jeu, traverser une route peut se révéler d’une difficulté déconcertante, pas parce que la route en elle-même est surveillée par un ou dix gardes, mais parce qu’un seul ennemi peut entraver toute une planification que l’on élabore depuis le départ. On ne comprend le problème qu’une fois que l’on découvre le tout de ce problème. Cependant, comme je le disais, Shadow Tactics est juste et offre tout ce dont le joueur à besoin.

Il est notamment possible d’afficher le cône de vision d’un garde ou encore de se servir d’une balise que l’on place à notre guise n’importe où, indiquant quel garde voit telle position. Parce que si nos personnages sont effectivement complémentaires, l’ennemi l’est tout autant. Il est obligatoire de flirter avec le danger en permanence en exploitant autant que faire se peut les cônes de visions. La vision des gardes est une réussite d’ailleurs : la zone en vert foncé indique que vous serez repéré, la zone en vert barré signifie que vous pouvez vous déplacer accroupi en toute tranquillité, mais pas debout. Il faudra donc observer attentivement qui voit quoi avant de passer à l’action.

On prend beaucoup de temps à se demander comment faire, on passe de longues minutes à imaginer la réaction en chaîne que déclencherait la moindre décision. On en vient à ce que l’on pourrait considérer comme un défaut : le jeu ressemble parfois à un puzzle. Vu qu’il est impossible de mettre le jeu en pause, impossible du coup de s’adapter rapidement à quelque chose qui tourne mal. Shadow Tactics exige des plans parfaits et si quelque chose dérape, on est trop tenté de simplement charger une sauvegarde plutôt que d’assumer la conséquence de nos erreurs. En soi, il est possible de survivre après s’être fait repérer, bien que cela soit très difficile, mais pour cela il faut jouer rôle-play et tenter d’assumer ses erreurs. Parce qu’avec la planification requise, vous n’aurez en fait jamais à survivre à une situation désespérée. À chaque joueur de personnaliser l’expérience à sa guise.

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Rester dans ce cercle en mouvement est plus difficile qu’il n’y paraît.

Autre excellent point de Shadow Tactics, c’est la variété qu’il propose. Déjà dans les objectifs, qui vont de l’assassinat à l’espionnage en passant par la libération de prisonniers, mais également dans les conditions météorologiques qui imposent de nouvelles difficultés. Aucun niveau ne se ressemble et on ne peut jamais s’appuyer sur une méthode magique qui fonctionne à tous les coups. Le joueur est surpris en permanence et doit sans cesse apprendre à tirer profit de chaque nouvel élément de gameplay. Il s’agit certainement de l’une des plus grandes forces du jeu de Mimimi.

Concernant la durée de vie, comptez entre 1h30 et 3h pour finir une mission, ce qui est plus que raisonnable. Il faut plus d’une vingtaine d’heures pour finir le jeu en normal, et si ça ne suffit pas, le mode difficile vous ouvre ses portes en laissant résonner un rire cruel. Si vous n’en avez toujours pas assez, des défis s’offrent à vous pour chaque mission, et pour obtenir tous les badges, il faut vraiment s’accrocher.

Une totale réussite

Shadow Tactics: Blades of Shogun parvient à conserver la difficulté et la minutie propre au genre tout en concédant l’erreur grâce à son système de sauvegarde intelligent, qui permet aux néophytes d’apprendre en douceur la rigueur permanente exigée par le jeu. Sa durée de vie conséquente et sa variété entre chaque situation promettent de longs moments à s’arracher les cheveux avant de trouver comment remporter le défi que le studio Mimimi présente au joueur. Il vaut son prix, en tout cas si vous êtes patient et prêt à analyser chaque détail d’un niveau. Dans tous les cas, pari réussi pour les développeurs, qui sont parvenus à ouvrir le genre en respectant son essence tout en le modernisant. Pas révolutionnaire, mais très bien exécuté.

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