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On vient de se rendre compte que toutes les Suggestions de la Semaine depuis celle de Kip sur Star-Twine avaient été postées sur la V2 de NoFrag, et du coup maintenant on comprend pourquoi personne ne les commentait jamais. C’est maintenant réparé et vous allez retrouver la célèbre rubrique tous les dimanches. Normalement.

Dans La Suggestion de la Semaine, on fourre notre bras au fond du tiroir de la rédaction pour vous conseiller des bidules et des machins susceptibles d’attiser votre curiosité et de vous donner de quoi avoir l’air intéressant devant vos amis à l’apéro.

Jeux, films, documentaires ou œuvres plus obscures, c’est ici qu’on pourra se permettre de parler d’autre chose que des FPS, en attendant la nouvelle version du site où on fera des vidéos commentées sur les jeux Nintendo et où Squeezie sera invité dans nos locaux pour inaugurer notre rachat par Bolloré®.

Je suis un gros connard prétentieux qui pense que les bons livres de Fantasy se comptent sur les doigts de la main. Je suis même un gros connard prétentieux qui pense que la littérature française est une fange au passé simple qui a oublié ses glorieuses heures pour se bâfrer dans les immondices de l’autofiction sans imagination.


Heureusement parfois un livre vient balayer mes préjugés, Gene Wolfe et son Book of the New Sun m’avaient réconcilié avec la Fantasy, Antoine Volodine avec Dondog m’avait réconcilié avec la littérature française moderne. Gagner La Guerre de Jaworski enfonce le clou en faisant les deux en même temps. Don Benvenuto Gesufal, maître-espion et gros enculé nous raconte sa vie dans une sorte de 15e siècle imaginaire, entre des royaumes aux goûts d’empire ottoman et des pays rappelant l’Italie de Machiavel. Il assassine, boit, se fait fracasser la gueule, il escorte son patron, complote pour lui et se fait envahir ses rêves. Si l’univers du livre est très inspiré de notre Histoire, on reste dans la Fantasy, alors cette terre parallèle est nervurée d’un peu de magie, mais elle reste discrète, rare, complexe et très violente.

[–SUITE–] Gagner La Guerre est un livre à la première personne, Don Benvenuto écrit une partie de sa vie (le roman fait suite à une nouvelle, tirée d’un recueil qui se passe dans le même monde, que je n’ai pas encore lu). Il est un maître-espion et un traité de paix vient d’être signé, alors on va avoir le droit à des complots politiques, des conspirations, des nobles vexés et des puissances avec lesquels il faut jongler. C’est aussi un gros enculé, alors on va avoir le droit à de la paranoïa, de l’égocentrisme, de l’acte de barbarie pour le plaisir, de l’utilisation d’êtres humains, et un langage fleuri. Jamais on ne tombe dans la complaisance, on ne suit pas les aventures des Gentlemen Bastards de Scott Lynch (avec lesquels Gagner La Guerre a beaucoup en commun), pas de gentils voleurs un brin batailleurs, mais un affreux violeur un brin sociopathe.

Le style du livre est parlé et le langage de Don Benvenuto, malgré le cadre assimilé au début de la renaissance, a un goût moderne, proche de celui de Michel Audiard. Le héros nous parle, il insulte, il se fout de la gueule du monde, et même si parfois Jaworski tremble un peu et que le phrasé passe la limite du bon goût, surtout quand il ne peut pas s’empêcher de changer un mot dans une expression pour que ça rende mieux (« il se fourre une phalange ou deux dans l’œil » par exemple) ça reste une lecture toujours agréable et drôle. J’ai quand même dû m’obliger à continuer pendant les dix premières pages, tout me semblait un peu trop « argot forcé », mais une fois dedans on est emporté par la gouaille du héros et l’ambiance se cristallise autour de sa façon de parler, de vivre et d’être une véritable saleté.

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J’ai parlé de complots politiques et de nobles courroucés, et même si le roman, qui fait 980 pages est très difficilement résumable, le bordel des affrontements, des histoires d’héritages ou de conflits de famille n’est jamais trop lourd ou trop complexe. On est pas dans Guerre et Paix, pas besoin de lire avec un calepin pour pouvoir suivre. Le rythme est soutenu, les pauses sont assez bien écrites et intéressantes pour ne pas tendre le roman vers trop de longueurs. Certaines résolutions sont un peu tirées par les cheveux, mais ce qui compte, ce n’est pas l’intelligence de la description du jeu politique, ce qui est important c’est Don Benvenuto au milieu de tout ça, ce qu’il subit, ce qu’il fait, ce qu’il détruit et ce qu’il tue.

Et moi j’aime quand un roman est centré autour des personnages. On a jamais l’impression désagréable de lire un théâtre de marionnettes, avec des héros là pour subir l’histoire. Don Benvenuto est un acteur avec une histoire et des motivations, il est épais et naviguer dans les méandres de ses réflexions est une activité passionnante, surtout quand on est tenu par une narration solide, un univers intéressant et quelques moments de bravoures guerrières très bien amenées. Alors oui, ce n’est pas du niveau de Gene Wolfe (qui l’est ?) ou de Flaubert (qui l’est ?), mais c’est un roman que je conseille à tout le monde.

Gagner La Guerre est un roman qui se lit comme on regarde un Singe en Hiver, avec l’émerveillement du langage fleuri et le goût étrange lié à l’observation de gens qui sombrent en s’enfonçant dans ce qui est atroce, et donc sublime, en eux.

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